Académie des Sciences, Agriculture,
Arts et Belles Lettres d'Aix-en-Provence
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Les Échos de l’Académie
Académie des Sciences, Agriculture, Arts et Belles Lettres d'Aix-en-Provence
N° 2 - 15 avril 2020
Sommaire
1. ÉDITORIAL par le Président Jean-Pierre Centi ................... 1
2. Billet - LA PESTE de 2020 par Jean Bonnoit ........................ 2
3. In memoriam - JACQUES CALVET : UN GRAND PATRON NOUS A QUITTÉS Souvenirs de Pierre Dussol ......................................................................... 4
4. Commentaires - IL N'Y AURA PAS DE RETOUR À LA NORMALE par Pierre Nalin 5
5. Une image, un jour : CANDIDE AIXOIS par Pierre Dussol 9
6. Portrait - JOSEPH CABASSOL, secrétaire perpétuel de l'Académie 9
7. Les MASQUES et le COVID-19 : ÉTAT des LIEUX et POLITIQUES par Pascal Morand 10
8. Annonces - CONFÉRENCE sur Zoom .................................... 20
ÉDITORIAL par le Président Jean-Pierre Centi
Nous venons de célébrer Pâques sous cloche, en quelque sorte. Pourtant, la grâce était là, nous incitant à scruter le bout de ce long tunnel.
Nous, qui sommes coutumiers des éloges de la vertu, savons que l’espérance, dans son fondement théologal comme dans sa version sécularisée, est cette aspiration à nous tourner vers la vie. L’espérance, signe majeur jaillissant de cette période d’incertitude, n’est pas un don du ciel. Nous la semons, la propageons et la partageons aussi. Elle nous permet d’affronter ce fléau invisible du Covid-19 et de défier le dénombrement quotidien des morts.
Triste et dramatique bilan, mais la déferlante de la peste noire fut bien pire. Celle-ci fit en Europe quelque 25 millions de morts entre 1347 et 1352. Les médecins de l’époque ne connaissaient ni la cause de la pandémie ni les moyens de la terrasser. Notre Confrère Jean Bonnoit nous rappelle ici que lors de la peste de 1720 à Marseille, considérée d’ailleurs par l’Institut Max Planck comme une résurgence de la peste noire, la médecine n’avait encore que bien peu d’efficacité pour juguler le fléau.
Nous avons aujourd’hui plus de connaissances que dans ces époques lointaines, bien que nous ne soyons pas à l’abri de pandémies nouvelles. Savoir y faire face exige un système de santé bien géré, capable de prévenir autant que de guérir,
quoique la guérison sollicite une recherche active. Lorsqu’il y a bonne gestion, il n’y a pas à choisir – à sacrifier – entre santé ou économie et les deux vont de pair. Lorsqu’il y a bonne gestion on n’est pas forcément contraint de paralyser une économie tout entière et de fabriquer de toute pièce une dépression économique. Or les faits sont là : la crise sanitaire entraîne une crise économique de grande envergure : il faudra redémarrer l’économie comme après une guerre. Notre Confrère Pierre Nalin nous remémore les mesures qu’avait préconisées son aïeul Hubert Giraud au lendemain de la Grande Guerre alors qu’il présidait la Chambre de Commerce de Marseille. Hubert Giraud avait quelques longueurs d’avance et en appelait au réalisme économique. C’est une leçon fondamentale qui ne fut pas écoutée.
Le monde est bien plus complexe aujourd’hui qu’il ne l’était dans l’entre-deux guerres ainsi qu’au lendemain de la seconde guerre. Le spectre des attentes qui s’expriment est si large que tous les contraires s’affrontent. L’on entend couramment deux affirmations diamétralement opposées : pour les uns rien ne sera plus comme avant, pour les autres rien ne changera !
La réalité est qu’il faudra impérativement produire en très grande quantité tests et masques, en suivant scrupuleusement les préconisations ici mentionnées par Pascal Morand, de l’Académie des technologies. La réalité est aussi qu’il faudra opérer des arbitrages au sein des entreprises, petites, moyennes et grandes, tendre vers des équilibres économiques et sociaux toujours fragiles, ce que n’aurait pas démenti ce grand capitaine d’industrie qu’était feu Jacques Calvet dont notre Confrère Pierre Dussol retrace la brillante carrière. La réalité est encore que nous devrons tous régler la très lourde facture de la double crise, sanitaire et économique. Cela impliquera beaucoup d’efforts, équivalents à ceux fournis par notre personnel de santé dont nous applaudissons tous les jours l’exemplaire dévouement durant cette pandémie.
Jean-Pierre Centi
Président de l’Académie d’Aix
Billet - LA PESTE de 2020 par Jean Bonnoit
Trois siècles après la grande peste de Marseille, la pandémie actuelle due au COVID 19. On ne peut s’empêcher de faire le rapprochement.
La maladie est venue de loin dans les deux cas, du Moyen-Orient jadis, de la Chine aujourd’hui. Beaucoup de morts, certes moins en 2020, mais beaucoup trop, car ce virus est terriblement contagieux. La maladie est statistiquement nettement moins grave, en revanche nous devrions pouvoir sauver plus de patients.
Alors qu’en 1720 nous ignorions tout de l’agent pathogène, du mode de contamination, de nos jours nous avons la science, les protocoles, les normes et le
principe de précaution... Mais avons-nous conservé un peu de bon sens et de réflexion ?
A part le confinement indispensable et les traitements symptomatiques que faisons-nous de plus qu’en 1720 ?
Nous savons que la contamination se fait essentiellement par les gouttelettes projetées lors des conversations et de la toux. Nous n’avons pas de masques dotés de normes de protection particulièrement fiables ; tentons de nous protéger avec ce que nous avons, ce sera toujours mieux que rien.
Nous attendons que les choses se calment, comme lorsqu’il y a de la neige à Marseille, on attend qu’elle fonde. Mais là, il y a des morts et les médecins se doivent de traiter les patients. Avec quoi ?
À Marseille se trouve un chercheur mondialement connu dont l’habitus peut faire penser au célèbre druide Panoramix. Il affiche quelques résultats ; ces résultats ne montrent qu’un petit nombre de cas, la belle affaire ; notre pandémie actuelle n’a pas dix ans d’existence. Alors, ses résultats sont trop parcellaires, ses protocoles de recherche ne sont pas ceux préconisés habituellement, il n’a pas de groupe témoin... Peut-être a-t-il le tort de ne pas être Parisien ?
« Je garderai le respect absolu de la vie humaine... » Sommes-nous au temps de l’urgence ou des discussions elliptiques et sibyllines ? Il y a des morts tous les jours, faute de traitement. Nous sommes en période critique et non dans une période normale : qu’attendons-nous pour adopter ce traitement et dès le diagnostic posé, car il vaut mieux attaquer le virus avant qu’il n’ait fait trop de dégâts ?
Il n’est pas interdit d’invoquer comme le suggère notre confrère Bernard Terlay, Saint Roch et Saint Sébastien ; puis-je me permettre d’ajouter Sainte-Consorce dont la statue restaurée visible dans la salle des séances de l’Académie a été offerte en ex-voto pour la chapelle du mont Concors par la ville ou le parlement d’Aix, à la fin d’une épidémie de peste qui ravagea notre ville vers le milieu du XVe siècle ?
Jean Bonnoit
In memoriam - JACQUES CALVET : UN GRAND PATRON NOUS A QUITTÉS Souvenirs de Pierre Dussol
Notre Académie a compté un représentant de l’industrie automobile, Claude-Alain Sarre, ancien dirigeant de la marque Citroën. Hier, 10 avril, un autre patron du groupe PSA Peugeot-Citroën, certes non membre de notre Académie, est décédé à 88 ans : Jacques Calvet, président du directoire du groupe de 1984 à 1997. Notre confrère Pierre Nalin ancien de Citroën, et qui a connu Jacques Calvet m’a demandé d’évoquer mes quelques souvenirs de Consultant du Groupe PSA
Jacques Calvet était venu tard à l’industrie, après une carrière d’énarque giscardien, comme Chef de Cabinet du Ministre des Finances qu’était VGE, avant son élection à la Présidence de la République en 1974.
Il fut alors nommé à la BNP en vue d’en devenir Président (en 1979). En attendant, il avait été formé aux métiers de la banque par Jean-Pierre Rondeau que les Aixois ont certainement connu comme patron du réseau de la BNP à Aix, et qui m’a raconté cet épisode. A l’époque, Jacques Calvet arrivait régulièrement à huit heures, boulevard des Italiens, au siège de la BNP, pour prendre sa leçon quotidienne.
Être un bon président de Banque était une qualité jusqu’au moment où cela devint un défaut impardonnable, quand en 1981 le nouveau pouvoir politique dut trouver des places pour ses obligés, avec en prime la mission de gérer les nationalisations de 1982.
Jacques Calvet en conçut une méfiance – le mot est faible - vis à vis des politiques qui se mêlent d’Économie, surtout s’ils ne sont pas giscardiens.
C’est à ce moment-là (1984) qu’il devint le patron du groupe PSA-Peugeot-Citroën, à la demande de la famille Peugeot. On retiendra qu’il fut le redresseur d’un groupe dont les finances avaient souffert de l’intégration coûteuse de Chrysler Europe, racheté par son prédécesseur, ainsi que des suites des crises pétrolières. Non seulement son action permit d’éponger les pertes, mais il laissa une situation financière et commerciale solide : un quasi doublement des ventes, des fonds propres multipliés par dix et un cours boursier par vingt ! Certes, il avait hérité des projets de la Peugeot 205 et de la Citroën BX qui se transformèrent en énormes succès, mais il avait su faire fructifier l’héritage !
Il n’était pas un patron commode, mais il dirigeait efficacement.
Le matin, il était « Peugeot ». A l’heure du déjeuner, à la cafétéria du siège, 75, avenue de la Grande Armée, nous le rencontrions, avec ses papiers étalés sur la table en train de préparer son après-midi où il devenait « Citroën ». A cela nous pouvions
voir sa simplicité, mais aussi sa difficulté à intégrer les deux marques. Son successeur s’y attachera et y réussira car les temps étaient devenus plus propices.
Il fut en effet remplacé en Octobre 1997 par Jean-Martin Folz, prévu pour cela depuis deux ans et pour Jacques Calvet, ce fut la fin de la carrière PSA Peugeot Citroën.
La suite, ce sont des postes d’administrateur dans diverses sociétés, mais pas la percée politique qu’il aurait fortement souhaitée.
Mon dernier souvenir ?
C’est le départ de Jacques Calvet du groupe PSA qui fut rapide, modeste et un peu triste. Nous avons brièvement bavardé quand il débarrassait son bureau de ses objets personnels – pipe, blague à tabac, agenda…- qui tenaient dans un sac minuscule. Nous étions seuls dans l’ascenseur qui nous amenait vers la sortie du rez-de-chaussée et ce furent nos adieux résignés.
Pierre Dussol
Commentaires - IL N'Y AURA PAS DE RETOUR À LA NORMALE par Pierre Nalin
Histoires parallèles
Né en 1865, mort en 1934, Hubert Giraud, armateur, ne fit jamais partie de notre Académie. Il en avait cependant saisi tout l'esprit, car après sa mort il créa un prix quinquennal Charles Giraud, depuis largement tombé en désuétude. Grand voyageur, il présida la savante Société de géographie de Marseille et il écrivit dans la Revue des Deux Mondes. Contrairement à son grand-père Charles, notre ancien Président, Hubert Giraud terminait ses livres. Contrairement à son grand-père Charles, il ne fit pas d’études flamboyantes. Et contrairement à ce grand-père, il ne se détourna jamais de son travail pour briller dans les salons.
Après une telle pandémie et un tel confinement, les choses vont-elles tout naturellement redémarrer ? Il n'est pas inintéressant de relire les lignes qu'Hubert Giraud a prononcées il y a près d'un siècle, après la guerre de 14-18, alors qu'il était Président de la Chambre de Commerce de Marseille, devant un parterre choisi de chefs d'entreprise de la ville.
Le 11 octobre 1921, lors d’un discours « novateur et resté fameux » (Pierre-Paul Zalio, Grandes familles de Marseille au XXe siècle) Hubert Giraud précise sa vision de l’avenir économique de la ville. Il « convoque » dans l'urgence ses pairs à la Chambre et s’en excuse, usant d’une formule empruntée aux Anglais et qui deviendra un slogan de la SNCF : « le temps, c’est de l’argent ».
Hubert Giraud fait part de ses plus mûres réflexions qui, en 2020, se révèlent d'une étrange actualité : « Il n’y aura pas de retour à la normale, s'exclame-t-il, {…}. La guerre a été au point de vue économique quelque chose comme la Révolution française au point de vue social : ce serait folie de croire qu’on pourra revenir à l’ancien régime... /…je considère du point de vue MATERIEL comme d’une importance relativement secondaire les ravages exercés dans nos malheureux départements du Nord et de l’Est comme en Belgique et comme partout où [nos ennemis] ont pu se livrer à leurs manoeuvres de dévastation systématique… C’est une question de temps et moyennant qu’on trouve l’argent (qui doit être et sera, espérons-le, fourni par l’Allemagne)… /…on parviendra à reconstituer tout ce qui a été détruit… / … autrement grave est, pour ces industries, la formidable lacune qui s’est créée dans leur activité et la suppression presque totale de leurs relations avec ceux qui absorbaient leurs produits… ».
« ...Mais des concurrents sont nés. Il en est né en France, et il en est né au dehors, et c’est ici que les difficultés deviennent tout à fait graves ».
Après avoir fait la guerre, il faudra savoir faire la paix : désorganisation de l’industrie, se reconvertissant « dans les conditions les plus diverses et, il faut bien le dire, les plus risquées ». D’où l'émergence de nouveaux concurrents improvisés, qui « ont fait un peu n’importe quoi ». L’étranger a « créé de nouvelles concurrences ».
Hubert Giraud diagnostique les « …répercussions les plus redoutables… les nouvelles industries créées à l’étranger ne sont pas près de disparaître ». La guerre a interrompu le cours habituel des affaires pendant cinq ans, et plus : l’État a rendu trop lentement leur liberté aux entreprises. Pendant ces années perdues, les clients (nos « relations ») se sont fournis ailleurs, certains ont disparu, d’autres sont montés en puissance. Beaucoup ont remplacé les industriels français. Tous ont eu le temps d’apprendre, développer, fabriquer, vendre et s’enrichir. Exemples : « notre huilerie marseillaise ne sait que trop que l’Angleterre a installé chez elle de vastes usines où… ». Ou le Brésil, produisant des « tissus de coton et de soie,… meubles, coffres forts, et pianos ».
Effets de bord que nous connaîtrons : la monnaie, le change, la main-d’oeuvre. La dévaluation du Franc Germinal 1, aboutit à un renchérissement des achats de « matières premières achetées à l’étranger ». Hubert Giraud ne croit pas au retour du rapport franc / dollar et/ou livre à leur niveau d’avant-guerre 2. Puis : « le grand point est de savoir ce que fera le change allemand... / …il sert merveilleusement nos ennemis d’hier à reprendre dans le monde la place qu’ils avaient avant la guerre… Pour finir, une constatation désabusée, froide et lucide : « …ennemis d’hier…/… résolus à prendre une revanche économique en attendant pire ».
2020 : les problèmes du redémarrage de la planète se posent et chacun a son idée sur ce sujet. Mais peut-on avoir une idée sur tout ? A-t-on suffisamment de recul en 2020, en particulier après le matraquage médiatique qu'on nous a infligé ? Pas toujours, il faudra une athlétique dose de pédagogie pour s'en remettre et ce fut un problème d'Hubert Giraud en 1921. Par exemple, il ne dit rien du « management » opérationnel des hommes. Aucune allusion au "marketing", non plus, un terme qui existe à peine en 1921. Hubert Giraud ne parle ni produit, ni parts de marché. Il approfondira le thème du protectionnisme - qui reviendrait volontiers à la mode - mais prévient déjà : « En aucun cas la protection du travail national ne doit aboutir à paralyser nos échanges avec l’étranger ou livrer le consommateur français à la discrétion des producteurs nationaux ». Hubert Giraud ne se prononce pas sur la journée de huit heures, ni sur les conditions de vie de la main d’oeuvre ouvrière, ni sur l’urbanisme marseillais socialement déficient. Il ne fait aucune allusion à l'épidémie meurtrière de grippe espagnole (1918-1919). En 2020, le confinement démontre l'urgence de réussir l'aménagement de notre cadre de vie.
Dès 2020 et pendant des années, le monde va assister - procéder - à une redistribution des cartes. Elle ne sera pas seulement économique, mais « sociétale ». Le domaine du télétravail, par exemple, aura été une solution testée dans une dimension et avec une rapidité inimaginables à la veille de la crise. Dorénavant, pour beaucoup, l'entreprise ne sera plus le lieu du travail : « …il faudra faire la part de ce qui est susceptible d’amélioration et de ce qui restera… de ce mouvement économique déterminé par la guerre ». Le Bureau de l'Académie lui-même a su fonctionner à distance - ce qui ne lui a fait perdre que provisoirement son agréable convivialité.
1 À la stabilité si chère, mais si commode pour les historiens.
2 Il se trompe, mais pêche par optimisme : le franc or sera finalement dévalué de 80 % et non pas de 50 %.
Carton d’invitation à la conférence du 11 octobre 1921.
Pourquoi Hubert Giraud l’a-t-il conservé ? Intuition de prononcer un discours historique ?
Discours dense et actuel, un siècle plus tard.
Qu’est ce qui a pu motiver Hubert Giraud pour cette sortie, juste après avoir été réélu à la présidence sans difficulté particulière ? Peut-être lui-même… Hubert Giraud juge le changement nécessaire et la solution qu’il préconise face à ce changement est inattendue. Zalio : « à une longue tradition d’activisme parlementaire {lobbying} contre les tarifs, Giraud oppose la nécessité de modifier les stratégies et les outillages en rompant avec l’individualisme industriel marseillais par des fusions industrielles ». Hubert Giraud, cite les sociétés Palmer (GB) ou Siemens (Allemagne) et pense déjà à la qualité des cotonnades brésiliennes comme à la fulgurante progression d’Unilever, roi du marketing anglo-hollandais, qui sera bientôt suivi par Henkel ou par Procter & Gamble, & C°.
C'est plutôt de la propension à oublier qu'il faudra, dit-il, se garder. Propension plus vivace que jamais aujourd'hui. En 1838, le grand-père d'Hubert Giraud, Charles Giraud, écrivait à propos de De la République : « Le livre de Bodin avait devancé son siècle : il ne produisit aucun effet pratique ». Le discours de son petit-fils Hubert ne sera pas suivi d’effets concrets (et là encore, quelles similitudes avec le Covid-19 ?). Jusqu’à la guerre, Marseille verra très peu des fusions qu'il préconise, et encore moins de faillites qu'il imagine. Mais Hubert Giraud ne se trompait pas : faute de réalisme, désorganisées, les plus emblématiques des branches de l'industrie marseillaise finiront par s'avérer trop faibles pour se relever de la seconde guerre mondiale.
Pierre Nalin
Une image, un jour : CANDIDE AIXOIS par Pierre Dussol
Conseil du Candide Aixois par Pierre Dussol
Portrait - JOSEPH CABASSOL, secrétaire perpétuel de l'Académie
Pour ce premier "portrait", celui d'une grande figure aixoise, Joseph Cabassol (1859-1928). Docteur en droit, il soutint sa thèse sur un sujet capital : De l'usucapion. Droit civil français : Origine, sens et applications de la règle "En fait de meubles possession vaut titre".
Descendant d’une vieille famille provençale, Avocat inscrit au barreau d'Aix, Joseph Cabassol mena une carrière professionnelle aussi brillante que peu ordinaire, puisqu'il fut ensuite nommé Premier Président de chambre de notre Cour d'Appel. Il connut le même succès lors de sa carrière politique, puisqu'il fut Conseiller général, maire d'Aix-en-Provence de 1902 à 1908 et Président du Conseil général des Bouches du Rhône. Amoureux de la Provence, poète à ses heures (Solitude), grand érudit, Joseph Cabassol passa de nombreux étés dans sa propriété de Trempasse, à Peyrolles. Bâtonnier de 1903 à 1905, "homme de fière allure et de grandes manières", il avait perdu un fils durant la guerre de 14. Son autre fils, Gabriel, fut
également bâtonnier de l'Ordre des avocats d'Aix et nombre de ses descendants ont embrassé la carrière juridique, à Aix, Avignon et au-delà de nos frontières.
La mémoire de Joseph Cabassol mérite d'autant plus d'être ravivée au sein de notre Académie qu'il en fut le Secrétaire Perpétuel de 1921 à 1928.
Opus :
Joseph Thierry, Député de Marseille, Ministre des Travaux publics, Ministre des Finances, Ambassadeur de France à Madrid
De l'usucapion en droit romain (Art. 2279-2280 Code civil)
Le Parlement d' Aix défenseur des droits et des traditions de la Provence
Charles Giraud, Essai sur sa vie et ses oeuvres
Compte-rendu de l'inauguration du buste d'Émile Zola à la Bibliothèque Méjanes ; discours de MM. Cabassol et Numa Coste
Une pièce de théâtre : La dernière marquise (1923)
Les MASQUES et le COVID-19 : ÉTAT des LIEUX et POLITIQUES par Pascal Morand
Membre de l'Académie des technologies
La gravité du problème du covid-19 tient au cumul d’un taux relativement élevé de contamination et d’une vitesse élevée de transmission3. Le besoin en masques résulte directement de ce double effet.
Ainsi, 100 personnes atteintes d’un virus et contaminant chacune trois personnes par jour génèrent, si le mécanisme se poursuit, un processus conduisant à un effectif de 218700 personnes contaminées en une semaine et de près de six millions en 10 jours. Le problème tient à la rapidité du processus exponentiel, qui a deux composantes. L’assertion selon laquelle une personne atteinte du covid-19 en contamine 2 à 3 n’apporte pas d’information sur la périodicité desdites contaminations. Le phénomène n’est pas de même nature selon que cela se produit en un jour, une semaine ou un mois.
Cette note vise à synthétiser l’ensemble des aspects relatifs aux masques dans le contexte du covid-19 : typologie, besoins quantitatifs, procédés industriels, matières, homologation, marchés, régulation, alternative aux masques en non tissés4 ou en tissus, innovation. Son objet est la compréhension partagée des connaissances pour éclairer au mieux la situation, optimiser les actions concertées et faciliter le positionnement de ceux qui sont désireux de s’impliquer dans la production de masques à titre collectif ou même individuel.
1 / Quels masques pour quels besoins ?
On peut distinguer plusieurs types de besoins, en fonction des publics visés : les soignants en salles de réanimation ; les soignants en général ; les patients ; les salariés et autres statuts de l’industrie et de l’économie en général ; les citoyens5.
En fonction de ces besoins et publics, le pouvoir filtrant d’un masque (pour prévenir principalement la circulation des gouttelettes de salive6) n’est pas le même. Il importe de distinguer les masques « normés » et les masques « barrière ».
Masques « normés » : Ils doivent faire l’objet d’une certification pour être agréés et relèvent de deux catégories : masques de protection respiratoire et masques chirurgicaux.
Les masques de protection respiratoire protègent leurs porteurs contre l’inhalation d’agents infectieux ou de polluants en particules fines. Réalisés à partir de non tissés, ils sont de type FFP (1,2 ou 3 pour 3 classes d’efficacité croissante) et à usage unique. Ils font l’objet d’une réglementation par la directive européenne (89/686/CEE) relative à la catégorie des Equipements de protection individuelle (EPI) et par la norme européenne EN 149 :20017. Leur pouvoir filtrant est maximal, ce qui tient à la matière utilisée, toujours en plusieurs couches de non-tissé, et plus accessoirement au fait que les interstices entre masque et peau sont réduits à leur strict minimum. Une soupape, élément de confort non obligatoire mais présent dans presque tous les modèles, peut permettre une meilleure respirabilité, et l’expiration de l’humidité qui peut se condenser dans le masque (l’inconvénient étant le risque d’infiltration par la soupage si le masque conservé trop longtemps). Il est établi que les masques FFP2 sont bien adaptés aux professionnels de santé par exemple des salles de réanimation, car ils protègent bien contre les virus grippaux (grippe aviaire, SRAS, bactéries de la peste pulmonaire et de la tuberculose, COVID-19).
(Un textile non-tissé est réalisé par la compression de fibres aléatoirement disposé, à la différences des textiles tissés et tricotés. Cette technologie lui confère une densité élevée adaptée aux masques les plus exigeants.
Cette typologie donne lieu à des recoupements entre les catégories et à des sous-catégories. Rentre en compte la proximité du virus dans l’exercice d’un métier, le nombre de contacts avec autrui et le degré de proximité physique, sans oublier l’incertitude relative à l’ampleur de la contamination et à sa dimension asymptomatique pour 80% des malades.
La salive est abondante. Un adulte en produit 1,5 litres par jour. Lorsque l’on parle, tousse, éternue, Il est estimé que le diamètre minimal des gouttelettes projetées est de 5 microns. Elles sont portées par un nuage qui peut les emmener à plusieurs mètres, d’autant plus loin qu’elles sont fines. On ne sait pas à ce jour si le covid-19 peut également se transmettre par aérosol (très fines gouttelettes) issues de secrétions bronchiques d’un malade, à l’instar de la rougeole. Par ailleurs, le covid-19 peut se transmettre par des contacts de surface et la taille des particules peut alors se mesurer en nanomètres.
La norme EN 149 : 2001 évalue l’efficacité d’un masque jetable à protéger contre l’inhalation d’aérosols. Cela correspond à des projections de gouttelettes dont le diamètre est compris entre 0,2 et 0,5 microns. Les 3 classes de performance :se caractérisent comme suit :
– FFP1 : Pénétration filtre maximale 20%, Fuite totale maximale 22%; – FFP2 : Pénétration filtre maximale 6%, Fuite totale maximale 8 %, – FFP3 : Pénétration filtre maximale 1%, Fuite totale maximale 2%.
La norme stipule une batterie d’autres tests.)
Ils servent également dans divers domaines : industrie du verre, fonderie, bâtiment, industrie pharmaceutique et agriculture.
Les masques chirurgicaux empêchent les germes de la personne portant le masque de se propager à l’extérieur. Ils sont réglementés par la directive européenne (93/42/CEE) relative à la catégorie des Dispositifs Médicaux (DM) et par la norme européenne 14683 : 2006 8. Ils sont également réalisés en principe à base de non-tissés.
Masques barrière : ils peuvent faire l’objet d’une auto-certification après avoir été homologués.
Il s’agit de masques à usage non sanitaire dits également de protection qui ont la capacité de protéger soi-même et autrui. Les appellations barrière ou « de protection » peuvent semer le trouble en donnant à penser que ce type de masques protège parfaitement de l’inhalation de substances infectieuses alors que ce n’est pas exactement le cas. Ces masques ont toutefois un intérêt indéniable pour protéger un grand nombre de personnes en contact avec le public et travaillant dans des communautés industrielles, commerciales, de services où les exigences peuvent être moindres que dans le monde de la santé. Ils peuvent être réalisés à base de tissus et donc être lavables, stérilisables et réutilisables, à la différence des non-tissés, qui sont jetables et doivent être renouvelés plusieurs fois par jour.
Deux catégories homologuées de masques barrière/à usage non sanitaire ont été instituées le 29 mars https://www.entreprises.gouv.fr/covid-19/liste-des-tests-masques-de-protection. Elles correspondent à un pouvoir filtrant stoppant respectivement 90% et 70% des particules de trois microns. Cette distinction correspond au degré d’exigence des métiers dans lesquels ils seront portés.
On peut ainsi désormais distinguer toutes destinations confondues quatre catégories de masques homologués, et cinq en termes de théorie des ensembles si l’on considère tous i ne disposent d’aucune homologation
(La norme EN 14683 : 2006 évalue l’efficacité du matériau filtrant dans le sens de l’expiration. Cela s’applique à des projections de gouttelettes de 5 microns.
On distingue 4 types de masques chirurgicaux : les masques de type I, de type II, de type IR et de type IIR : – Type I = EFB (Efficacité de filtration bactérienne) > 95 % – Type II = EFB > 98 % – Type R = résistant aux projections
Cette norme stipule également une batterie d’autres tests.
Il faut pour être complet distinguer parmi les masques non homologués ceux qui peuvent prétendre à une homologation et dont les producteurs s’inscrivent dans cette perspective, qu’ils aient échoué ou non dans un premier temps, et ceux qui quoi qu’il advienne n’en auront pas le niveau.)
2/ Evaluation quantitative des besoins en masques
Si l’on se réfère aux trois catégories de référence (masques de protection respiratoire FFP2, chirurgicaux de type DM1, barrière) et parallèlement aux cinq catégories de population, on peut estimer les besoins en nombre de masques au moins en termes d’ordre de grandeur.
Si 7000 lits en réanimation sont occupés, les besoins quotidiens peuvent être évalués à 500.000 par jour, ce qui représente 15 millions de masques FFP2 par mois. Ce chiffre prend en compte la nécessité de prendre un nouveau masque toutes les 3-4 heures10. Si la situation n’est pas stabilisée à ce niveau, le nombre de masques requis augmentera en conséquence, sans évoquer ici la pénurie potentielle en lits de réanimation. En extrapolant à partir du rapport de proportion avec la même hypothèse, on peut estimer le besoin en masques chirurgicaux dans les hôpitaux à 50 millions par mois. Une utilisation de 14.000 lits de réanimation augmente le besoin de masques en proportion.
(Une estimation admise est qu’une situation correspondant à 1000 lits en réanimation requiert de l’ordre de 80.000 masques FFP2 en réanimation et 240.000 masques chirurgicaux pour les autres services de l’hôpital (soignants et aussi patients). Cette estimation est la base de l’évaluation des besoins pour ces deux types masques dans cette note.)
Il faut également prendre en compte les cliniques, les Ehpads, les médecins de ville, etc. La France compte de l’ordre de 230 000 médecins dont environ 100 000 généralistes, plus de 700 000 infirmiers, etc. Si l’on prend comme hypothèse un besoin d’équipement d’un million de personnes, cela représente 30 millions par mois, beaucoup plus s’il s’agit de masques jetables qui doivent être souvent renouvelés. En supposant que l’on en consomme trois par jour, cela représente 90 millions par mois, soit un total général de l’ordre de 140 millions par mois. Si on ajoute à cela la population des emplois publics tels que les policiers, les gendarmes, les pompiers, cela représente un total de près d’un demi-million de personnes, ce qui fait s’élever le besoin total en masques chirurgicaux de l’ordre de 185 millions par mois.
Les besoins les plus immédiats en masques destinés aux acteurs de l’économie ont été estimés de 1,5 à 2 millions. Ce montant n’a de sens que si les masques sont lavables et ne peut que s’appliquer aux salariés les plus exposés. Cinq priorités sectorielles ont été établies : industrie agro-alimentaires, gestion des déchets, gestion de l’eau, distribution et grande distribution (y compris la distribution à domicile), industrie pharmaceutique. Sont également concernés les salariés des services publics en contact fréquent avec autrui. Si l’on envisage désormais un scénario plus général, le nombre d’actifs pouvant passer en télétravail est évalué à huit millions et il en résulte que le nombre d’actifs ayant un emploi ne pouvant le faire est de l’ordre de 19 millions. Cela représente un besoin de 38 millions si les masques sont lavables en supposant que chacun a besoin de deux masques, ce qui est réaliste lorsqu’il sont en tissus ou en tricot. Si l’on soustrait les actifs ayant besoin de masques chirurgicaux en les évaluant à deux millions, le montant requis est diminué d’autant. Cette systématisation sous-jacente du port de masques permet à chacun de protéger les autres.
Si l’on considère enfin les citoyens dans leur ensemble, il peut être considéré comme raisonnable que chacun porte un masque, partant du principe qu’une personne ne sait pas si elle n’est pas en période d’incubation lorsqu’elle est asymptomatique, et que la majorité des porteurs du virus le sont également. Cela vaut pour toutes les classes d’âge, y compris et d’autant plus pour les plus jeunes, et donc pour les 66 millions de Français. Il faut bien sûr ôter de ce nombre tous ceux qui figurent dans les autres catégories, ce qui représente un effectif de 56 millions. En prenant l’hypothèse extrême que chaque Français porte un masque, à quoi il faudrait certes ajouter le nombre de tous ceux qui se rendent en France
d’une manière ou d’une autre, on parvient à un montant de 112 millions. Partant, on peut estimer qu’une disponibilité de l’ordre de 200 millions de masques lavables conviendrait.
Les chiffres cités peuvent sembler impressionnants mais en soi ils ne le sont pas pour qui connaît la consommation de produits textiles. Ainsi Décathlon produit-il à lui seul un milliard de pièces par an. Les masques constituent par ailleurs des produits homogènes et peu chers. Mais des problèmes importants se posent en matière technique et d’approvisionnement matière, surtout s’agissant des non-tissés. Dans un tel contexte de pénurie, qui affecte le monde entier, la seule méthode possible est d’accélérer tous azimuts la production et l’importation de masques. La nécessité de procéder à des commandes considérables et de toutes natures n’empêche pas la grande importance de toute action, production et importation, fût-elle d’envergure limitée, en vertu du principe économique selon lequel la valeur d’un produit à la marge est d’autant plus grande que l’offre disponible est inférieure à la demande.
3/ Une mobilisation de l’industrie textile française mais des goulots d’étranglement dans l’accès aux inputs
Un petit nombre d’entreprises françaises spécialisées dans les textiles techniques ont pour métier de produire des masques FFP2 et chirurgicaux et ont accru autant qu’il est possible leur production. Le non-tissé le plus souvent utilisé est à base de polypropylène, le cas échéant de fibre cellulosique11. Sa densité réduit drastiquement le passage des gouttelettes. Les coutures doivent être soudées par hautes fréquences afin de ne laisser aucun espace. Il reste que le problème crucial, concernant les masques FFP2 et chirurgicaux, est celui de la disponibilité de la matière. Ainsi, la membrane des FFP2 et FFP3 est toujours en meltblown, membrane non tissée à base de polypropylène et pour les masques chirurgicaux est requise une couche intermédiaire de polypropylène à 30 g/m2. Se pose le problème de la faible production française de non-tissés à quoi s’ajoute une pénurie dans les circonstances actuelles à l’échelle européenne et mondiale12. C’est pourquoi d’autres voies ont été ouvertes pour parvenir à produire des masques de protection sans avoir recours aux non-tissés. Quoi qu’il en soit, la production des masques FFP et chirurgicaux requiert une certification formelle, tandis qu’une validation des caractéristiques de filtration et de respirabilité suffira pour les masques barrière.
(S’agissant des FFP2, les produits les plus adaptés sont le SMS et le SMMS, qui incluent deux techniques différentes, le Spunbond et le Meltblown. Dans les deux cas, Le SMS requiert deux couches de Spunbond et une couche de Meltblown entre les deux premières, d’où son appellation. Le SMMS comprend deux couches de Meltblown entre les deux couches de Spundbond.
12 Il se pose toutefois un problème de coordination à l’échelle européenne. Ainsi l’entreprise italienne Orsa NW (groupe Orsa), qui produit et vend des non tissés, y compris du polypropylène, a-t-elle lancé un appel dans le Corriere della Sera pour trouver des clients.)
Une estimation admise est qu’une situation correspondant à 1000 lits en réanimation requiert de l’ordre de 80.000 masques FFP2 en réanimation et 240.000 masques chirurgicaux pour les autres services de l’hôpital (soignants et aussi patients). Cette estimation est la base de l’évaluation des besoins pour ces deux types masques dans cette note.
Plus généralement, de pertinentes et généreuses initiatives ont jailli de la part des tisseurs et des confectionneurs, conduisant à la conception et à la production de masques en tissus ou le cas échéant en tricot (maille). Des grandes marques de mode s’impliquent également fortement dans la production de masques en tissus et en non-tissés. Les tissus peuvent être plus chers que les non-tissés. Une popeline ou toile de 180 g/m2 peut convenir et permettre d’obtenir un niveau de filtration de 95%. Mais qu’il s’agisse de chaine et trame ou de maille jetée (indémaillable), il s’agit de densifier au maximum la texture, de concevoir des étoffes en minimisant les espaces entre les fils et les fibres, l’objectif étant qu’ils soient inférieurs à trois microns. Différentes méthodes sont utilisées, ainsi la confection ou le tissage 3D à partir de métiers jacquard. La technologie utilisée dans la production de lingettes peut être intéressante. La capacité de production dépend du modus operandi, ainsi le tissage 3D a-t-il une productivité plus élevée que la confection.
Un autre problème est celui de la disponibilité des élastiques en stocks et la possibilité d’en produire en circuit très court. Doit être vérifiée la résistance des élastiques dans le cas de masques en tissus, notamment s’ils sont lavables (et stérilisables) plusieurs fois. A défaut il est possible de leur substituer des rubans en tissu à nouer. Par ailleurs, les masques une fois produits doivent être aseptisés. Ainsi, si les services de blanchisserie des CHU ou d’autres structures peuvent effectuer cette tâche, cela implique qu’on peut les faire confectionner (couture, pose élastiques) dans des ateliers non homologués santé et qu’ils pourraient être ensuite aseptisés avant d’être distribués.
Pour répondre au grand défi de la production de masques, la Direction Générale des Entreprises du ministère de l’Economie et des Finances (DGE) a constitué un groupe de travail réunissant tous les acteurs du textile au sens large, les entreprises concernées, l’IFTH (Institut technique du textile et de l’habillement), les pôles de compétitivité (Euromaterials, Techtera). Le Comité Stratégique de filière (CSF) mode et luxe s’est également mobilisé. Afin de regrouper toutes les informations relatives aux acteurs, à la production, aux approvisionnements, et de mettre en relation les parties prenantes, il a conçu un site internet dédié, en relation étroite avec la DGE https://www.csfmodeluxe-masques.com/.
Cette plateforme coordonne ainsi l’action de tous les acteurs de la filière qui sont parties prenantes dans la fabrication des masques barrière.
Parallèlement, la DGE et la start-up Miraki ont conçu une place de marché dont l’objet, plus général, est de gérer les approvisionnements en produits sanitaires, parmi lesquels les masques https://www.stopcovid.19.fr.
L’étape critique de la certification et de l’homologation
La DGA est l’autorité réalisant en France les tests d’évaluation pour l’ensemble des catégories. Elle évalue la filtration et la respirabilité des prototypes qui lui sont envoyés. A la différence notamment de l’APAVE, de l’INRS (Santé et sécurité au travail), de l’AFNOR et des autres organismes certificateurs, la DGA ne pratique pas de tests de conformité aux normes des masques FFP ou des masques chirurgicaux. Les masques FFP2 et chirurgicaux doivent ainsi être certifiés par un laboratoire habilité. L’APAVE est l’organisme qui assure cette certification en France, avec un délai de deux à trois mois en raison de l’abondance des demandes actuelles. Le centre technique belge Centexbel, également habilité, ayant des délais plus courts (trois à quatre semaines).
L’évaluation par la DGA n’exonère pas les entreprises de faire les tests sur leurs supports. Les demandes d’évaluation en très grand nombre et la capacité de traitement de la DGA limitée à dix-quinze tests par jour ont créé un goulot d’étranglement. La gravité de la situation a conduit à une mobilisation générale des acteurs publics (Direction Générale des Entreprises (DGE), Direction Générale de la Santé (DGS), Direction générale du Travail (DGT), Direction Générale de l’Armement (DGA), Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), Santé Publique France, Laboratoire national de métrologie et d’essais (LNE), AFNOR. Des efforts collectifs ont été accomplis afin de désengorger, accélérer et clarifier le processus de validation des caractéristiques des masques barrière, se matérialisant par l’habilitation de structures, notamment l’IFTH (Institut Français du Textile et de l’Habillement) et la possibilité de sous-traitance réglementée d’homologation. Pour contribuer à la résorption des demandes en souffrance, l’APAVE a également mis au point un protocole allégé requérant un délai d’environ une semaine. L’AFNOR a publié parallèlement un référentiel (SPEC O76-001) destiné aux néo-fabricants, y compris les particuliers.
Etant donné l’ampleur des besoins et quelle que soit la mobilisation des entreprises françaises, seule l’importation en grande quantité peut régler à court terme le problème de la pénurie en masques FFP2 et chirurgicaux. L’Italie s’est approvisionnée en Chine et dans d’autres pays mais c’est principalement de la Chine, qui a récemment rouvert la porte aux exportations de masques et de respirateurs après avoir stabilisé sa propre situation, que peut venir la solution13. L’annonce par le ministre de la Santé de la commande de 250 millions de masque puis d’un milliard, la commande de 10 millions de masques FFP2 et chirurgicaux par LVMH et de 3 millions de masques chirurgicaux par Kering en ont été l’illustration. Les masques importées ont en principe été homologués pour partie par les centres d’homologation européens ou sinon obéissent aux normes équivalentes chinoises mais requièrent à l’importation en France une vérification de conformité.
En complément du recours à l’importation, tous les stocks doivent être identifiés, comptés et mis à disposition, ce qui requiert un mode d’allocation contrôlé et une logistique efficace. Ainsi l’armée a-t-elle pu donner 6 millions de masques chirurgicaux mais l’enjeu est plus global. Ceci vaut également pour les stocks de masques NRBC de la période H1N1 que l’on trouve encore chez nombre d’acteurs de l’économie et notamment d’entreprises, qui doivent être réquisitionnés. Leur opérationnalité pourra alors être testée mais ils peuvent être utiles même s’ils sont périmés en étant le cas échéant reconvertis en masques barrière simples.
5/ Masques barrières : la délicate mise en place d’un marché régulé
A la différence des masques FFP2 et des masques chirurgicaux, le marché des masques barrière se trouve dans une situation d’atomicité des acteurs qui va jusqu’au do it yourself. Se pose de manière plus claire la question des modalités de distribution des masques auprès des professionnels et encore davantage auprès du grand public. Dans ce domaine, les acteurs ne savent pas aujourd’hui comment se situer en termes de prix et de marché en général. On peut distinguer cinq types d’acteurs : (1) ceux qui agissent sur un mode philanthropique ; (2) ceux qui agissent en essayant dans la mesure du possible d’équilibrer leurs coûts ou de marger de façon raisonnable en vendant de bons produits, dans un contexte de mobilisation et de difficultés financières pour toutes les entreprises ; (3) ceux qui en font de même avec des produits défaillants sans savoir qu’ils le sont ; (4) ceux qui spéculent ou vont spéculer pour revendre au prix le plus élevé possible ; (5) ceux qui vendent sciemment des produits de qualité défaillante et essayent d’en tirer un prix maximal. Ceci vaut pour les entreprises de toutes natures à l’échelle française, européenne et mondiale.
(La Chine, qui a importé massivement au début de la crise et jusqu’à fin février (56 millions de masques et respirateurs dès la première semaine qui a suivi la fermeture de Wuhan) a également bénéficié d’un élan de solidarité mondial, après quoi elle a réorienté massivement son système productif vers la production nationale de masques et de respirateurs, passant de 10 millions de masques à 100 millions de masques par jour au cours du mois de février. Tout au long de cette période et jusqu’à tout récemment, elle a interdit l’exportation de masques y compris lorsqu’ils étaient produits par des sociétés étrangères, nationalisant en quelque sorte l’activité d’entreprises telles la filiale de 3M implantée à Shanghai.
Il existe aux Etats-Unis et en Chine des normes équivalentes aux normes européennes pour les masques FFP2 et chirurgicaux.)
Ces problèmes valent pour tous les types de masques. Ainsi, il n’est pas rare qu’un masque FFP2 dont le prix de revient est de 0,5 euros soit vendu 10 euros au public et les hôpitaux eux-mêmes, qui les achètent en général à un prix faible, subissent aujourd’hui l’inflation des prix chinois15. Plus généralement, un marché noir s’est d’ores et déjà développé depuis la crise et des traders ont pris place, y compris pour les masques FFP2. S’agissant des masques barrière produits en France, le prix de revient sera variable selon les quantités produites et le procédé adopté. On peut considérer que 2 euros est une hypothèse raisonnable de prix de revient HT moyen.
Aujourd’hui, il n’y a qu’un marché balbutiant pour ce type de masques, qui s’opère souvent dans une logique de proximité. Cette approche est plutôt bienvenue et pragmatique en l’occurrence mais le marché va nécessairement se former et se structurer, ne serait-ce qu’en regard de la demande très élevée de masques. Un marché libre présente des inconvénients qui hypothèquent son opportunité dans le cas présent tout au moins s’il n’est pas accompagné d’un autre mécanisme qui les atténue. En effet, une place de marché ne peut pas dissocier les différents types d’acteurs et tend dans un premier temps à donner un avantage relatif aux acteurs de type (3), (4) et (5). Advient en particulier le risque de la sélection adverse, tenant à l’abondance de produits de mauvaise qualité (« lemons ») tout comme celui de l’achat en masse d’un spéculateur. Ceci arrive dans tous les cas de création d’un nouveau marché et il faut alors une période de tâtonnement qui peut prendre de un à deux ans avant que ne se produisent un assainissement et une régulation naturelle. C’est donc un scénario dangereux car il fait courir un risque sanitaire évident. Le masque en question n’est certes pas un produit médical mais reste un produit de santé. Comme en toutes circonstances, la transparence s’impose. Mutatis mutandis, il en est des masques comme des crèmes solaires.
La création d’un marché réglementé repose sur trois facteurs : une borne maximale, sous la forme d’un prix maximal (price-cap) (qu’on peut a priori imaginer entre 5 et 7 euros) ; une borne minimale de qualité, sous la forme d’une homologation (désormais possible pour les masques barrière depuis les récentes décisions relatives à l’instauration de catégories ; une distribution au travers de canaux (physiques et en ligne) agréés. Le problème se pose pour la diffusion auprès des milieux professionnels et encore davantage auprès du grand public. Une bonne référence est ce qui a été fait pour le marché des gels hydroalcooliques. S’agissant du grand public et à la différence du gel hydroalcoolique il n’y a pas pour les masques de point de vente naturel et réglementé. Le risque émanant des acteurs (4) est certes éliminé mais il demeure pour celui qui émane des acteurs (3) et (5) si la vente s’opère dans des lieux non contrôlés, tels que les distributeurs alimentaires ou les bureaux de tabac. Une diffusion de mauvais produits et même un phénomène de sélection adverse conduisant à la promouvoir de fait peuvent alors se produire. C’est pourquoi la commercialisation doit être elle aussi réglementée et opérée par des tiers de confiance aptes à rassurer et sécuriser le public, tels que les pharmacies ou les bureaux de poste. La logique de tiers de confiance s’applique également aux acheteurs professionnels (GIE et/ou site internet contrôlé par l’Etat). Une place de marché ne peut trouver sa place qu’en complément d’une distribution physique et dans un cadre très réglementé. Il s’agit en résumé de poursuivre simultanément la mobilisation des entreprises et de leur donner un cadre clair tout en satisfaisant au plus vite les besoins substantiels en masques.
Dans le contexte actuel, la transparence de l’information est primordiale. La caractérisation et l’homologation des deux nouvelles catégories de masques est un facteur de transparence tout en requérant une communication organisée et aux multiples facettes de la part de l’ensemble des acteurs concernés. Mieux vaut porter un masque à la performance plus faible ou inconnue que pas de masque à la condition que l’on sache ce qu’il en est.
(Le prix usuel d’un masque FFP2 et celui d’un masque chirurgical en B2B est de l’ordre de 0,5 euros (le premier étant un peu plus cher que le second). On parvient aujourd’hui à un niveau de 4 euros, voire plus.)
Pour finir : quelles alternatives aux masques textiles
La crise du coronavirus a conduit nombre d’entreprises non textiles à se consacrer à la production de masques. C’est ainsi le cas de Sharp au Japon , qui produit usuellement des télévisions, et de plusieurs constructeurs automobiles en Chine parmi beaucoup d’autres entreprises de tous secteurs, tels que SAIC motor et de BYD, qui produit cinq millions de masques par jour. Rien ne s’oppose par ailleurs à des masques réalisés dans des matériaux rigides et à les produire en masse. Ainsi 3M, qui est l’un des plus importants producteurs de masques américains, a tout récemment décidé de doubler sa production de masques N95 (équivalent FFP2) pour la porter à cinq millions par jour.
La fabrication additive offre une alternative intéressante, en dépit de ses limites en matière d’économie d’échelles, et peut contribuer à répondre valablement à une demande de proximité. Le pôle de compétitivité Aerospace Valley coordonne aujourd’hui l’action des acteurs français dans la crise actuelle. A l’échelle mondiale, les initiatives fleurissent pour produire des masques y compris FFP2, telles que celles de Stratasys, qui a décidé d’en produire 5000 par jour dans un premier temps, de Copper 3D, société d’impression 3D sur des matériaux antimicrobiens, qui a également coopéré avec la société italienne Isinnova pour produire très rapidement des valves de respirateurs à la demande de l’hôpital de Brescia, ou encore de l’entreprise tchèque Prusa qui, en partant d’un fichier disponible sur le site communautaire GrabCAD, a conçu un masque/bouclier qui a la particularité de se poser au-dessus d’un masque chirurgical classique pour renforcer encore la protection. Plus généralement, il serait utile d’identifier des fichiers disponibles en open source et n’en explorer la potentialité, pas nécessairement pour des masques FFP2 ni même chirurgicaux. Quoi qu’il en soit, c’est la technologie FDM (dépôt de matière fondue) qui est utilisée dans les différents cas et dont les potentialités doivent être encore traitées notamment avec Euromaterials, puisque le thermoplastique est la matière la plus adaptée à un masque.
D’autres potentialités doivent être approfondies dès que possible afin de pouvoir recourir à des synergies technologiques. Ainsi, la plus grande entreprise de typographie d’Italie Grafica Veneta, qui imprime 75% du marché italien et 30% du marché européen, a reconverti la ligne de moulage pour imprimer des masques barrière, en tissus et non tissés. Elle en a d’ores et déjà fabriqué et donné deux millions, en produit actuellement 700 000 par jour et prévoit d’en produire 1,5 millions par jour. Outre les masques se pose la question de l’innovation relative aux filtres, le pouvoir filtrant jouant pour les masques un rôle déterminant. L’électroménager est ici une référence qui fait sens et des synergies avec des entreprises telles que SEB ou Dyson pourraient être immédiatement explorées, sachant que l’on peut se heurter là encore à la pénurie de polypropylène.
Ainsi, les masques des trois catégories offrent un champ très large d’innovations de toutes natures, qu’il s’agisse de matériaux rigides ou de matériaux souples. Les réflexions et actions relatives aux tests et à l’homologation se doivent de conjuguer et réunir les deux univers. Par ailleurs, les circonstances très difficiles dans lesquelles ce potentiel synergique et créatif se dégage, plus encore que par le passé, militent pour une dynamisation des innovations.
Pascal Morand
Président exécutif de la Fédération de la haute couture et de la mode
Membre de l’Académie des technologies
07/04/2020
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